Le débat de Missélé eba’a : La concertation politique pourrie de l’intérieur.
L’histoire peut s’avérer amère pour qui l’ignore. En observant tout ce qui se passe du côté du ministère de l’intérieur, on peut se demander pour qui roule en réalité les responsables de cette administration.
En effet, aucun pouvoir établi ne peut être serein lorsqu’on amorce une année électorale sous très haute tension. Cette situation n’a jamais été en sa faveur car, la détermination ou la radicalisation des populations peut se renforcer et conditionner psychologiquement les masses qui sont prêtes à tout pour parvenir au changement ou à l’alternance.
C’est pourquoi, on ne peut que se demander, quel est l’intérêt du ministère de l’intérieur d’ouvrir autant de fronts explosifs à pareil moment sachant que ces situations inconfortables viendraient alimenter des contentieux pré-électoraux qui discréditeront sérieusement le président de la République au moment de l’explosion.
Commençons par la question de la carte d’identité nationale. Alors que le premier ministre, chef du gouvernement, a annoncé la reprise de délivrance des cartes d’identité nationale, l’opinion publique est surprise que le dernier Conseil des ministres parle de prorogation desdites cartes. Que s’est t-il passé entre la période de déclaration de politique générale du premier ministre et ce fameux Conseil des ministres ? A qui profite ce désordre ?
Sur cette question, il est insoutenable voire ridicule qu’on nous serve l’argument d’une difficulté technique. Car, on établit bien des passeports biométriques dans notre pays. Et ironie de l’histoire, ce sont les agents de la police, sous le contrôle du ministère de l’intérieur, qui s’en occupent.
C’est dire que la difficulté n’est pas d’ordre technique mais plutôt politique. Autrement dit, qui empêche le ministère de l’intérieur d’établir des cartes d’identité nationale ?
Les scandales financiers autour du projet IBOGA a fini de convaincre l’opinion publique sur la moralité et la volonté des responsables du ministère de l’intérieur de crédibiliser la parole du pouvoir en place. Le ver est bel et bien dans le fruit. C’est à ce niveau qu’il est souvent difficile de faire du neuf avec du vieux. On peut le dire.
Sur le discours acide de l’église catholique à l’endroit du pouvoir en place, il faut dire qu’il revenait au ministère de l’intérieur, interface entre les églises et l’État, de bien communiquer sur les frontières qui existent entre ces deux entités.
En d’autres mots, c’est le ministère de l’intérieur qui s’occupe des liens entre les confessions religieuses et l’État. Malheureusement, le silence a régné quand il fallait rappeler à l’église catholique sa place dans le décorum républicain. Surtout que le discours au vitriol faisait un procès public de la gestion d’Ali Bongo.
Aussi, on était en droit de se demander, que visait cette énième couche d’amertume, dans un verbe incandescent, de l’église catholique après les observations et les inquiétudes soulevées avec pertinence et sagesse par l’archevêque de Libreville lors de la présentation de vœux au chef de l’État ? On n’est sorti du cadre des inquiétudes justifiées pour entrer dans une forme d’acharnement insupportable.
Concernant la mise en place du bureau du Centre Gabonais des Élections (CGE), organe par excellence chargé d’organiser les futures joutes électorales dans notre pays, le ministère de l’intérieur, en agissant dans la cacophonie, pensait déstabiliser l’opposition, hélas, il lui a plutôt servi un moyen en or pour affaiblir encore un peu plus le pouvoir fragile d’Ali Bongo Ondimba.
A ce qu’on sache, le ministère de l’intérieur dispose d’un service de renseignements qui a le devoir de passer au scanner tous les profils prétendant à des postes de très haute responsabilité dans les domaines qui touchent ses compétences, comme par exemple le CGE. Quel a alors été son intérêt de valider une élection qui posera un sérieux problème quand le pot aux roses des révélations sera servi à l’opinion publique ou à un invité comme Emmanuel Macron ? Que vise le ministère de l’intérieur ?
Si cette décision n’est pas du sabotage de l’intérieur, elle en a tout l’air. Un acteur politique de l’opposition, Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, sur sa page Twitter, parle « pédophilie » dans le bureau du CGE quand un autre du parti Les Démocrates parle de « repris de justice » pour des questions de mœurs. On sait qui séjourne ou consulte les pages publiques de ces acteurs politiques de l’opposition. L’ONU comme bien d’autres institutions ont lu et c’est grave.
Le ministère de l’intérieur ne peut pas faire l’autruche car ces révélations exploseront au visage du pouvoir et discréditeront à jamais l’institution et le président de la République.
De ce qui précède, on est en droit de se demander, que cherche le ministère de l’intérieur et pour qui roule t-il ? Si c’était pour la majorité au pouvoir, les enquêtes sur les différents acteurs auraient amené à plus de prudence et de vigilance. Si c’est en faveur d’un agenda caché, tout ce qui se fait actuellement semble être logique et cohérent. Cela convoque une réflexion de Napoléon Bonaparte qui disait « n’interrompez jamais un ennemi qui fait des erreurs ». Nous y sommes.
Enfin, pour ce qui est de la concertation politique, comment peut-on autant naviguer dans le flou et le désordre ? Or, dans ce type d’exercice politique, on sait qu’il y a toujours un travail préparatoire qui est fait en amont. A-t-il été fait ? Si oui, qu’est-ce qui justifie encore ces tâtonnements ou cette cacophonie, d’où qu’ils viennent ?
Le ministère de l’intérieur sait-il qu’un éventuel échec de la concertation convoquée par Ali Bongo sera d’abord mis à l’actif du président de la République ? Il en est l’initiateur, l’organisateur. Il répond du format choisi qui semble ne pas être au goût de la majorité des invités. Mieux, est-ce au ministère de l’intérieur de choisir les participants à la concertation politique, côté opposition, sachant que c’est son camp politique qui l’a demandé ?
Cette foire politique n’est pas la première du genre au Gabon ou dans le monde. Elle peut être suspendue si une partie tend à ne pas s’accorder. Pour le succès de cet exercice qui recherche l’apaisement avant les élections, on pouvait surseoir les travaux et les poursuivre lorsque la sérénité et le calme seraient revenus partout. Or, on lit comme un vrai problème d’organisation.
Sur la même lancée, pourquoi initier une telle rencontre en mode four tout pour ensuite faire une politique d’écrémage fondée sur la représentativité au Parlement ? Dans ce cas, n’est-ce pas à l’Assemblée nationale, plus légitime, que devrait s’ouvrir ou s’engager de tels débats ? C’est qu’on reconnaît implicitement les défaillances ou la non représentativité conséquente des élus de cette assemblée. Ce qui est un parfait désaveu de légitimité. Cela fait vraiment désordre.
A la veille des élections générales à venir, se donner autant en spectacle est risqué et totalement contreproductif pour le pouvoir. Ali Bongo a toutes les raisons de penser que la conspiration de 2016 continue et qu’à ce rythme, c’est plutôt la porte de sortie qu’on est en train de lui présenter. Nombreux semblent déçus par sa gouvernance et manquent de courage pour le lui dire. D’où l’émergence de basses manœuvres politiciennes.
Une chose est certaine, le chef de l’État en est conscient. La duplicité dans le PDG a déjà été moult fois rappelée par le distingué camarade. Lorsqu’Eric Dodo Bounguendza succéda à Faustin Boukoubi à la tête du Secrétariat général du PDG, le distingué camarade l’avait souligné. Devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République l’avait également dénoncé. C’est dire que les germes de la fin du pouvoir d’Ali Bongo sont en construction dans les rangs du pouvoir. Quelle triste fin politique qui s’annonce.
Par Telesphore Obame Ngomo
Président de l’OPAM